Tuesday, June 30, 2020

1971


1971
 
 
Depuis un an je suis un séminaire à l’École Pratique des Hautes Études (EPHE) avec un professeur qui m’incite à faire des recherches sur l’Inde, où il a travaillé. Il m’appuie pour l’attribution d’une bourse de recherche dans le cadre des échanges culturels entre la France et l’Inde.
Avec les lenteurs de l’administration indienne,  ce n’est que tardivement qu’on me délivre un billet d’Air India pour partir à New Delhi avec un des premiers Boeing 747 existants. Renate qui vient d’obtenir un poste intéressant à la Chambre de commerce Franco-allemande, préfère rester à Paris.
Affecté à la Dehli’s School of Economics, je dois faire des recherches sur les transformations sociales à la suite de la Révolution Verte au Pendjab dans le  nord de l’Inde. Grâce à l’utilisation d’engrais, produits par des usines chimiques américaines, et de nouvelles techniques agricoles, avec la hausse du prix des céréales et la libéralisation du marché, un développement agricole important est intervenu. Bénéficiant d’une bourse élevée par rapport au niveau de vie du pays, avec une autre étudiante française, nous louons une villa avec un cuisinier à notre service.
En Inde des images multiples s’offrent à mon objectif,  des images de misère, de vaches sacrées déambulant sur la chaussée comme sur cette photo prise à Calcutta, de gens s’accroupissant pour leurs besoins, de femmes avec leur sari travaillant sur des échafaudages, de bus débordant de gens agrippés, de rickshaws  et de charrettes tirées à la force des bras, le tout dans un univers où tout est écrit en anglais, où les centres des villes ont un caractère britannique.

Je profite de mon séjour pour voyager et découvrir l’Asie. Je prends d’abord le train pour Calcutta. Ma deuxième étape sera Bangkok,. Pour la première fois je pénètre dans l’Extrême Orient et je côtoie une population qui me ressemble. Bangkok m’impressionne par son caractère à la fois moderne et traditionnel avec ses grandes pagodes et l’activité incessante de ses commerces. Je sais aussi que c’est dans ce pays que se trouvent des bases américaines  d’où décollent les B52 ainsi que les lieux de « détente » des soldats américains venus du Vietnam en permission.
Ensuite je prends un bus qui m’amène jusqu’à l’embarcadère sur le Mékong.  Pour entrer au Laos on doit le franchir avec un bac. Au poste frontière laotien, une pancarte est apposée en français et en allemand : Douanes / Zoll, un reste de la présence coloniale française, les douaniers de la République Française s’étant contentés d’y placer les panneaux qu’on trouvait également à la frontière sur le Rhin, entre Strasbourg et Kehl.
La France est bien présente à Vientiane. En passant devant l’ambassade de la République du (Sud) Vietnam, où se déroule une grande réception, j’entends une fanfare militaire jouer « Sambre et Meuse », comme en France.
Je vais voir mon beau-frère, venu avec son fils en vacances dans sa famille. Avec d’autres routards anglo-saxons je suis hébergé dans un bungalow dans le quartier Dong Palan et je pars à la découverte de cette petite ville tranquille dont certains quartiers sont encore campagnards. De nombreux Vietnamiens habitent Vientiane, on les entend parler. Dans les gargotes je retrouve avec plaisir les mets et la cuisine de ma mère. Sur le marché on vend  à l’étalage toutes sortes d’herbes, dont le cannabis.
De grands bouddhas dorés trônent dans les multiples pagodes. Les nombreux moines en tunique orange témoignent de la ferveur bouddhiste du pays. Ce mois d’octobre on célèbre la fête du Thât Luan, on vend du riz gluant cuit dans des bambous au dessus de braises.
La guerre continue à faire rage au Vietnam, on entend régulièrement les grondements des bombardiers américains survolant Vientiane pour aller jeter leurs bombes plus au Nord Est vers la frontière vietnamienne, le Laos recevra plus de bombes que l’Allemagne pendant la guerre : je ne peux pas aller plus loin.
 
Il me faut reprendre le bus pour revenir à Bangkok.  Là, grâce à un prêt du directeur local de la Banque de l’Indochine, je peux acheter un billet d’avion pour Calcutta.
Comme je veux aller au Népal, je prends d’abord un train. On m’installe seul dans un wagon cadenassé pour éviter que d’autres voyageurs montent ; puis un bus local me conduit jusqu’à la frontière et j’arrive enfin à Katmandou. Dans cette petite ville, encore peu fréquentée, avec un petit groupe nous faisant un trekking dans  une montagne proche d’où l’on aperçoit l’Himalaya.
Les nouveaux copains, Peter William de Nouvelle Zélande et Norbert Schoot de Belgique, m’invitent à revenir à New-Dehli avec eux dans un bus anglais qui s’appelle « Budget Bus », avec une étape à Bénarès et une autre à Agra, deux lieux à ne  pas manquer dans le nord de l’Inde. De retour à New-Dehli, je commence à m’occuper de mes études, mais je rencontre alors Connaught Place mes copains du Népal. En partance pour l’Europe, toujours avec le Budget Bus, ils me proposent de les accompagner pour une excursion à Kaboul.               
Je refais donc mon sac à dos et je reprends la route. Nous passons la frontière entre l’Inde et le Pakistan un soir de novembre, un peu surpris par l’importance des convois militaires et le nombre d’engins armés de part et d’autre de la frontière.
Nous faisons une halte à Peshawar, une ville également marquée par l’Empire britannique des Indes jusqu’à sa partition en 1947 intervenue  quand l’Inde et le Pakistan sont devenus indépendants.
 
Avant la frontière, nous faisons une halte sur la route où je photographie deux Pakistanistanais en discussion. Le passage en Afghanistan par le Khyber Pass est grandiose. On comprend ainsi que les armées britanniques aient pu être défaites par les combattants afghans maîtres de ces montagnes propices aux embuscades.
Kaboul est une ville vivante avec une foule bigarrée où tous les hommes ont un turban, dans les boutiques s’étalent des tissus aux couleurs chatoyantes et je prends plaisir à me promener dans les souks des marchés, j’achète deux vestes en peau de mouton très chaudes et odorantes. 
Le lendemain de notre arrivée les journaux titrent que l’Inde et le Pakistan sont entrés en guerre et que la bataille fait rage aux frontières. Affolé, je me demande comment retourner à New-Dehli, je me rends à l’Ambassade de France de Kaboul pour leur expliquer que moi boursier français…A quoi on me répond qu’ils ne peuvent rien faire, que j’aurais dû rester là-bas où j’étais censé étudier, que je n’ai qu’à me débrouiller, même si je suis sans le sous.
Heureusement le Budget Bus est là, qui accepte de me faire crédit et de me prendre à bord pour un long voyage de plus d’un mois afin de me rapatrier en Europe. Ce voyage fantastique s’est passé avec la chanson Teach your Children du groupe CSNY que le chauffeur passait sans cesse dans le bus.
En pénétrant en Iran j’ai eu très peur, quand un douanier iranien fouillant mon sac à dos découvre de la drogue cachée. Quelques instants plus tard, un officier iranien, parlant très bien français accompagné par le patron du bus, accepte de considérer qu’on avait dû à mon insu dissimuler ce petit paquet, et que je peux continuer ma route ainsi le bus. Je pense alors que le patron du Budget Bus, a du être très convainquant, monnaie trébuchante à l’appui, pour m’innocenter et permettre à son bus de continuer le voyage.
Après une étape à Téhéran, nous continuons notre route interminable, à une halte, le bus repart par mégarde en m’oubliant et je dois le rattraper en taxi.
En ce mois de décembre, la traversée de la Turquie enneigée est périlleuse, plusieurs fois il faut mettre les chaînes pour avancer avec le bus, on voit des traîneaux tirés par des chevaux. A Istanbul on se réchauffe dans les fameux bains de vapeur turques dans de belles salles couvertes de  mosaïque carrelée. 
C’est ensuite la Bulgarie, la Grèce, la Yougoslavie, l’Autriche et enfin l’Allemagne où je retrouve Hans, le frère de Renate qui lui a envoyé de l’argent pour payer le bus et un billet de train pour me rendre à Paris.
Ensuite, pour la dernière fois, je fais encore du stop pour aller à Bordeaux et fêter Noël en famille.
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