Tuesday, June 30, 2020

1980



1980
Notre vie à Belgrade est agrémentée par les réceptions à l’Ambassade. Outre celles traditionnelles du 14 juillet, où tous les Français sont invités, ou celle de Noël pour les enfants du personnel, trois réceptions m’ont particulièrement marqué.
La première en l’honneur du Premier Ministre de l’époque, Raymond Barre, très courtois avec chacun, comme Renate a pu le constater. La seconde pour un déjeuner avec l’Ambassadeur et mes collègues du service culturel et des centres culturels. Sur le plan de table affiché à l’entrée de la salle à manger, mon nom ne figurait pas ! Quelle émotion ! Heureusement l’oubli est vite réparé, et le repas excellent. La troisième un dîner avec les inspecteurs généraux du Ministère, invités de marque. A ma table le directeur du Centre culturel, au nom  russe prestigieux, épate l’assistance en énumérant les différents noms serbo-croate pour le poisson inscrit au menu. En fait son érudition  venait d’une thèse  d’un professeur de l’Université de Zagreb.
C’est le soir du 18 mai 1980.  Nous sommes en train de dîner. Tout d’un coup la table bouge, la lampe se met à osciller et nous sentons des vibrations dans l’immeuble. Affolés, nous descendons au 5ème étage chez nos amis et collègues, Jean-Pierre et Annie ; ensemble, nous quittons l’immeuble par l’escalier les enfants dans les bras. On nous a bien recommandé, dans ce pays habitué aux séismes, de ne jamais prendre l’ascenseur dans ces cas-là et de se tenir sous l’encadrement des portes. Dans la rue nous nous dirigeons vers le parc du Kalemegdan, comme des milliers de Belgradois, pour échapper à tout risque d’écroulement d’immeubles. Ce tremblement de terre s’est passé au sud de la Serbie, à environ 170 km de Belgrade, avec une magnitude de 5,8.
Lors de ma première visite au Centre culturel français de Skopje, Kéti, la secrétaire, nous avait décrit ainsi le terrible tremblement de terre de 1963 : « nous avons entendu un grondement comme celui d’un métro arrivant dans une  station ».
L’été nous partons dans notre minibus, faire notre grand tour traditionnel du Danube à Belgrade  au Rhin à Sankt-Goar, de la Seine à Paris à la Garonne à Bordeaux. Souvent nous faisons un crochet par la Bretagne pour voir nos amis dans le Finistère. J’aime beaucoup photographier  Pierrot.
A  l’aller, comme au retour, nous traversons avec plaisir l’Italie : Trieste, Venise, Padoue, Vérone, Bergame sont sur notre chemin et pour moi autant d’étapes photographiques.

A l’étranger, nous avons le soucis de rester en contact avec nos familles et nos amis restés en France et en Allemagne. Les indemnités que nous recevons en tant qu’expatriés facilitent nos voyages
A l’occasion des fêtes de fin d’année nous rejoignons nos familles, cette fois-ci par avion et en train. Ce sont des visites très courtes, mais indispensables dans notre vie.
Chez leurs grands-mères, nos enfants retrouvent des endroits familiers, ils y ont leurs repères. Plus tard, ils iront même quelquefois en classe à l’école du village et connaîtront ainsi  des petits écoliers français ou allemands de leur âge.
Pour nous-mêmes, c’est avec délices que nous revenons au pays de notre enfance, de notre jeunesse, de notre vie ; quand on est à l’étranger on apprécie encore mieux de retrouver son chez soi, son milieu, son cadre de vie, d’y retrouver aussi ses plats, ses vins et ses fromages, d’entendre et de comprendre les gens avec leurs accents régionaux.
Dans ces moments de rencontre, j’aime faire des portraits ; les membres de la famille et les amis sont mes sujets préférés, comme ils me connaissent bien, les prises de vues sont naturelles. Le  regard est plus sensible avec les êtres qu’on aime.
Au terme de ce périple, nous retrouvons Belgrade et notre vie, nos amis français et yougoslaves.

Mirjana, notre amie étudiante de Belgrade, nous invite dans son village d’Omiljica, en Serbie et nous présente à toute sa famille. Anne fait du vélo dans le village devant des maisons peintes couleur ocre. Un jour nous allons avec elle en Bosnie-Herzégovine chez son oncle. S’accompagnant à la guzla (sorte de guitare monocorde) il nous interprète une chanson à la gloire de Tito qu’il a écrite.
Sur la route, je photographie un montagnard serbe, très fier dans sa tenue traditionnelle.

Nos enfants vont à l’École française de Belgrade qui accueille les petits Français ainsi que d’autres enfants francophones. Située dans le beau quartier diplomatique et gouvernemental de Dedinje, elle organise chaque année une kermesse. On me sollicite alors pour cuisiner une grande quantité de « nems », ces pâtés vietnamiens enrobés dans une feuille de pâte de riz et cuits dans une friture. On n’échappe pas à ses origines …
Ces écoles françaises à travers le monde leurs permettent de poursuivre une scolarité française à peu près normale, même si l’on change de pays. Nous aurons la chance d’être toujours dans des capitales où ces écoles existent.
La Yougoslavie, pays socialiste qui n’appartient pas au bloc soviétique du Pacte de Varsovie, célèbre deux fêtes importantes. D’abord le 8 mars, journée des femmes, où les hommes leur témoignent d’une attention plus particulière, au travail et à la maison. Nous aussi au bureau nous apportons des fleurs ou des friandises à nos collaboratrices, et ce jour là, nous invitons tout le personnel à boire un verre chez nous.
Ensuite, pour le 1er mai, jour de la fête du travail, tout le pays bénéficie de trois jours fériés, et nous en profitons pour aller en Grèce.
Cette année-là, en revenant de Thessalonique, nous décidons de faire étape au lac d’Ohrid, en Macédoine. Arrivés à l’hôtel, nous voyons tout le monde réuni, le personnel et les clients regardent silencieusement et avec émotion la télévision.  Tito est mort le  4 mai 1980 dans un hôpital de Ljubljana.
Né en 1892 d’une mère slovène et d’un père croate du temps de l’Autriche-Hongrie, Tito a participé à la Révolution russe et fut un des fondateurs de la Ligue des communistes de Yougoslavie. Pendant la guerre, il a dirigé les partisans contre l’armée allemande et après la Libération devint le dirigeant de  la Yougoslavie. Il pratiqua une politique d’indépendance vis-à-vis de Staline et de l’URSS, en proclamant un « communisme national » appelé aussi « Titisme », et une politique  de non-alignement.  
Il maintient l’économie de marché avec un système d’autogestion des entreprises. Contrairement aux autres citoyens des pays de l’est, les Yougoslaves ont, pour la plupart, la liberté d’aller à l’étranger. Beaucoup travaillent en Allemagne.
Nous voyons un peuple très affecté par la mort de Tito. Au passage du train qui ramène lentement sa dépouille de Ljubljana à Belgrade, les gens jettent des fleurs sous les roues du wagon mortuaire. De grandes funérailles nationales ont lieu, tout le pays est en deuil ; les vitrines des magasins affichent son portrait  avec un ruban noir. Tito avait soudé le pays qu’il tenait d’une main ferme, mais déjà des dissensions étaient apparues. Au Kosovo en particulier, avaient éclaté des troubles violemment réprimés : la guerre avec toutes ses atrocités du nettoyage ethnique et ses massacres étaient en gestation.
Quelques années après, la Yougoslavie disparaissait, laissant la place à la Serbie, à la Macédoine, à la Croatie, à la Bosnie-Herzégovine,  à la Slovénie, au Monténégro et au Kosovo.

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